vendredi 2 avril 2010

la prostitution juvenile ne choque plus

(Syfia/CRP) La prostitution des enfants, adolescentes et très jeunes femmes se banalise à Brazzaville. En cause : la pauvreté, l'irresponsabilité des parents, la méconnaissance ou le non-respect des lois… Seuls quelques associations et éducateurs semblent avoir pris la mesure du problème.

"Je sors avec plusieurs garçons. Mes parents, incapables de subvenir à mes besoins, bénéficient de mes relations. Mon père a trouvé du travail grâce à un de mes clients", confie Sylvie. De nombreuses enfants, adolescentes et très jeunes femmes arpentent désormais entre 18 heures et tard dans la nuit le centre-ville de Brazzaville en tenue sexy et provocante à la quête d’une proie. Âgées de 12 à 20 ans, ces "mou crocodile" (dévoreuses d’hommes), se retrouvent dans les rues, ainsi que dans les restaurants et les night-clubs huppés. Leurs cibles privilégiées : les hommes d’affaires, les diplomates et autres portefeuilles bien garnis. "Locaux ou étrangers, l’essentiel est que le consommateur paye bien son heure", résume Dorielle.
Ce commerce sexuel ne semble pas déranger outre mesure les parents. Certains encouragent même leurs progénitures à se lancer dans cette pratique pour échapper à la misère. Cigarette à la main Lucette explique, toute fière : "J’ai longtemps vécu dans la galère. Aujourd’hui, grâce à ce que je fais, j’ai un chez-moi et un compte en banque. J’ai 19 ans, je m’occupe de mes deux frères et sœurs et de ma petite fille. Ce qui me manque, ce sont mes amis, mais avec ce que je fais, mieux vaut être discrète…"
En effet, pour beaucoup de jeunes femmes, le silence est d’or dans ce métier. "Ceux qui nous jugent ne savent pas ce que nous endurons. Je suis en classe de 3e. Je me prostitue seulement de temps en temps, quand j’ai besoin d’argent. Je ne suis pas comme ces enfants de riches qui le font pour avoir de bonnes notes ! Je ne peux pas en parler à mes amis", explique Rose, bien consciente des risques qu’elle encoure. "Je prends mes précautions, j’ai des rapports protégés", s’empresse-t-elle d'ajouter.

Clients cyniques, parents irresponsables
L'exploitation sexuelle de ces jeunes et très jeunes femmes, par des hommes qui pourraient être leurs pères, n’émeut presque personne. Surtout pas leurs clients… "Ce sont elles qui viennent à nous. Elles sont bien conscientes de ce qu’elles font. Si leurs parents l’acceptent, est-ce à moi de jouer le rôle de l’assistance sociale ?", questionne, avec une bonne dose de cynisme, l'un d'entre eux qui a requis l’anonymat.
Selon un rapport d’analyse effectué dans le cadre du programme protection des enfants et des femmes par le Fonds des Nations unies pour l’enfance (UNICEF) en juin 2009, le revenu des jeunes filles de la rue qui pratiquent la prostitution varie de 30 000 à plus de 150 000 Fcfa (de 45 à plus de 230 €)… trois fois le Smig !
En plus de la cupidité, de l'irresponsabilité ou de la démission, s'ajoute chez certains parents l'ignorance de la loi. "Certains articles qui précisent leur obligation de pourvoir aux besoins de leurs enfants et d’assurer leur protection et énoncent les devoirs de l’État ont été adoptés par l’Assemblée nationale, mais attendent d’être promulgués", regrette Maître Marie-Hélène Nanitelamio, de l’Association des femmes juristes du Congo. Actuellement en vigueur, la loi Portella et ses décrets d'application interdit aux moins de 16 ans de sortir sans être accompagnés de leurs parents à partir de 20 heures, de fréquenter les bars, cinémas, et dancings. Maître Nanitelamio regrette que les autorités ne vulgarisent pas ces lois, décrets et autres conventions internationales pourtant ratifiées par le Congo.
Le Code pénal punit pourtant d’un emprisonnement de six mois à deux ans et d’une amende de 400 000 à 4 millions de Fcfa (de 600 à 6 000 €), toute personne qui embauche, entraîne, ou entretient, même avec son consentement, une personne même majeure en vue de la prostitution, ou la livre à la prostitution ou à la débauche. Seuls quelques associations et éducateurs bataillent pour que ces enfants soient pris en charge. "Nous avons initié un projet dans ce sens, mais il n’a pas abouti par manque de financements", déclare Pierre Chetel Kouanga, secrétaire général de l'Union pour l'étude et la recherche sur la population et le développement. La bataille contre ce fléau est d'autant plus difficile que ce dernier s’immisce jusque dans les établissements scolaires. "Comment comprendre qu'un père fasse plus de deux ans sans acheter un habit à sa fille, alors qu’il se saoule chaque jour ?", questionne Juliette Mbemba, enseignante parente d’élève dans un lycée de la place.

Annette Kouamba Matondo

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