vendredi 2 avril 2010

la poygamie en sursis

Au Congo Brazzaville, la polygamie fait débat. Une large consultation, qui vient d’être lancée, pourrait aboutir à modifier la loi l’autorisant. Dans les foyers, elle n’a déjà plus autant de succès. La pauvreté, l’émancipation des femmes, la peur du sida et l’influence de la religion sont passées par-là.

"Un homme qui a une femme n’a qu’un seul pied, il est déséquilibré". Ce dicton bembé (un peuple de la Bouenza , au sud du Congo) est significatif d’une certaine mentalité qui a longtemps entretenu la polygamie. "Pour les garants de la coutume, cette dernière était un lien de consolidation, d’intégration et de cohésion entre les familles, les peuples, les tribus, et même les pays", analyse Auguste Miabeto, professeur à Brazzaville au centre de recherche de la civilisation Kongo, qui, en tant que chrétien, ne partage cependant pas cet avis.

Aujourd’hui, la polygamie fait de plus en plus débat au sein de la société. À tel point que les autorités ont mis en place, en août dernier, une commission de révision et de rédaction des codes usuels. Elle pourrait, après large consultation, recommander une modification de la loi qui permet aujourd’hui à un homme d’avoir jusqu’à quatre femmes. La commission devrait rendre ses conclusions début 2010. Cette première mouture passera ensuite devant l'Assemblée. "Le processus peut durer un an", estime Simon William Mviboudoulou, président des affaires judiciaires à la Cour d’appel de Brazzaville.

En attendant, on observe déjà, un peu partout dans le pays, une baisse de la polygamie. De plus en plus de jeunes refusent cette pratique. En 2009, sur 21 actes de mariage enregistrés à la mairie de Makélékélé (premier arrondissement de Brazzaville), 1 seul cas de polygamie figurait sur le registre et en 2008, sur 52 actes de mariage, 5 cas avaient été enregistrés. A la mairie de Bacongo (deuxième arrondissement de la capitale), aucun cas n’a été enregistré entre 2008 et 2009 et seulement un en 2007.



"Dieu a donné un seul cœur à l’homme"

"La crise économique, la religion, l’émancipation des femmes et le sida sont autant de raisons qui poussent les hommes à faire le choix de la monogamie", observe Auguste Miabeto. Simon William Mviboudoulou, ajoute : "Les Congolais hésitent de plus en plus à prendre des secondes épouses par rapport à la situation économique. Par ailleurs, la femme intellectuelle accepte de moins en moins cette pratique." Voir cette dernière entièrement disparaître serait, pour Jean Gabriel Mavanga, membre de l’OCDH (l'Observatoire congolais des droits de l'Homme) "une belle avancée, notamment pour les femmes qui seraient ainsi placées sur un pied d’égalité avec les hommes."

Certaines n’ont pas attendu que la loi change pour s’émanciper… À l’image d’Anne-Marie, pharmacienne, qui, après plus de 15 ans de vie commune avec son conjoint avec lequel elle a eu 5 enfants, s’est séparée de lui quand elle a appris qu’il avait doté une autre femme. "Je suis partie malgré les conseils de ma mère, qui est dans un foyer polygame. Je connais trop les frustrations et les conflits de ces ménages, je ne suis pas prête à imposer cela à mes enfants. Et puis, je ne dépends pas financièrement de mon ex-mari", explique-t-elle.

Plusieurs hommes sont du même avis. Christian Kianda, ingénieur agronome, assure : "Toutes les familles polygames ont connu des divisions une fois que le père est enterré. Cette réforme (envisagée de la loi, Ndlr) va aussi rappeler à l’ordre ceux qui ont des maîtresses et font des enfants qui sont ensuite souvent la risée de leurs camarades." Beluxe Okana, un monogame, ajoute : "Certains ne sont pas conscients des risques, en particulier celui de propager le sida, qu’ils courent et font courir aux autres."

Les jeunes qui refusent la polygamie ont, dans certains cas, le soutien de leurs parents qui redoutent d’avoir à payer plusieurs fois la dot. Ils bénéficient aussi de l’appui des milieux religieux. Pour le pasteur Kinouani de la paroisse de Makélékélé, interdire la polygamie serait en somme naturel. "Dieu a donné un seul cœur à l’homme. Comment est-il possible d’aimer deux femmes de la même façon ? Il y a forcément une injustice qui se ressent aussi au niveau des enfants. La loi mettra certes du temps à s’appliquer, mais je pense sincèrement que les choses vont changer surtout avec le coût de la vie aujourd’hui."

Annette Kouamba Matondo

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